Le beau et l’automobile

Oct 2, 2023 | Actualités, HISTOIRE, Pop-Culture

Oh mon beau miroir, qui est la plus belle ? 🥰

 

Contributeur © Jules Crouzet 

De gustibus et coloribus non est disputandum (des goûts et des couleurs, on ne discute pas) dit l’adage, et l’automobile ne semble pas y échapper.

Combien de débats acharnés autour de la « plus belle voiture du monde ». Mais qu’est-ce qui fait qu’une voiture est belle ou non ? Est-il possible d’avoir une approche rationnelle de la beauté ?

Qu’elle est vraiment la plus belle voiture du monde ?

Pourquoi nous aimons ce qui est beau ?

 

Notre attirance pour le beau relève avant tout d’un désir d’appropriation, soit « une façon de comprendre les choses, de leur donner un sens, de nous les rendre familières et de les intégrer à notre vie » comme l’écrit Klaus Krippendorff dans The Semantic Turn A New Foundation for Design (2006). Patrick Jourdan dans Designing Pleasurable Products : An Introduction to the New Human Factors (2002), décompose ce processus en quatre dimensions:

La première est l’aspect physiologique que présente les objets, c’est le plaisir lié à la beauté formelle des choses.

La seconde est le caractère social, soit le fait que la beauté soit un sujet d’échange et de discussion.

La troisième, le plaisir psychotique décrit l’ensemble des réactions provoqué par l’utilisation de l’objet. Dans le cas de l’automobile il s’agit des sensations liées à la maitrise de la machine offrant confiance et aisance.

La dernière dimension est le plaisir idéologique soit l’adéquation entre le système de pensée de l’usager et celui figuré par l’objet.

l’effet « socioplastique »

C’est ce que Stéphane Vial appelle l’effet « socioplastique » d’un design capable d’incarner un ensemble de valeurs.

La confluence de ces quatre dimensions laisse apparaitre le caractère parfaitement émotionnel de notre rapport aux objets. C’est la thèse que défend Don Norman dans son ouvrage Emotional Design: Why We Love (or Hate) Everyday Things (2005). Selon lui, le système émotionnel se segmente en trois parties : le niveau viscéral, le niveau comportemental et le niveau réflectif. Cette approche permet de sortir d’une approche purement utilitaire des objets. Il cite d’ailleurs le design de la Mini (R50) de 2001 dont le dessin est en mesure de faire oublier ses différents problèmes de conception.

Est-il possible d’avoir une approche rationnelle du beau ?

 

Depuis des siècles, diverses approches empiriques, mathématiques et scientifiques ont tenté d’esquisser une conception rationnelle de la beauté. Les premières, se sont condensées autour de l’appréciation des proportions. Au début du IIIe siècle avant J.-C, Euclide qui étudie les relations de proportions utilisées pour la construction d’un pentagone régulier et de certains polyèdres, met au jour la section d’un segment de droite en extrême et moyenne raison : « une droite est dite être coupée en extrême et moyenne raison quand, comme elle [est] toute entière relativement au plus grand segment, ainsi est le plus grand relativement au plus petit ». Cette proportion ϕ ≈ 1, 618 est la section dorée, plus tard appelée divine proportion par Luca Pacioli à la Renaissance. D’abord, limitée à une dimension scientifique puis mystique, elle revêt à partir du XIXe siècle une portée esthétique qui connaîtra de nombreuses applications : en peinture avec le groupe de Puteaux ; en architecture, dans les édifices gothiques et classiques ou dans les habitats sociaux avec Le Modulor de Le Corbusier ; dans les produits de grande série comme les cartes de crédit ; et même la musique et la poésie.
Cette association entre la beauté et la section dorée repose à la fois sur une observation des phénomènes naturels et sur une constatation empirique. À ces deux dimensions s’ajoute une troisième mise au jour par le développement des neurosciences. Cinzia Di Dio, Emiliano Macaluso et Giacomo Rizzolatti ont réalisé une expérience durant laquelle ils ont soumis plusieurs versions du Doryphore de Polyclète (l’originale et deux versions modifiées) à des sujets en IRMf.
L’expérience a révélé une différence des zones d’activation du cerveau entre les images où le nombre d’or était présent et celle où il ne l’était pas. En utilisant une méthode similaire, Moshe Bar et Maital Neta ont observé la présence d’un biais de préférence pour les objets aux contours curvilignes qui apparaissent comme plus plaisants et attirants.

Quelle est la voiture la plus belle du monde ?

 

Difficile de répondre à cette question. De nombreux médias ont réalisé de grandes consultations, auprès de spécialistes ou de leurs lecteurs pour tenter d’y répondre. La plus intéressante est sûrement celle réalisée par Classic & Sports Car en 2009. Le magazine britannique a réuni les plus grands designers automobiles parmi lesquels Paul Bracq (Mercedes 230 SL W113 « pagode », BMW Turbo, BMW Série 5 E12, Peugeot Quasar), Ian Callum (Aston Martin DB7, Aston Martin Vanquish, Jaguar XK), Marcello Gandini (Lamborghini Miura, Alfa Romeo Carabo, Lancia Stratos, Lamborhini Countach), Giorgetto Giugiaro (DeLorean DMC-12, Fiat Dino, Lotus Esprit, Maserati 3200 GT), Patrick Le Quément (Ford Sierra, Renault Twingo, Renault Scénic), Gordon Murray (McLaren F1) et Ken Okuyama (Ferrari Enzo, Honda NSX).
Invités à voter pour la plus belle voiture de l’histoire, ils ont élu la Citroën DS. Plus étonnant, dans les 10 voitures ayant reçu le plus de votes, huit ont été conçues entre 1955 et 1966, l’âge d’or du design automobile ? Par ailleurs, ils ont toutes des dessins curvilignes, bien qu’une grande partie des années 70 et 80 ait été marquée par des lignes acérées. Cela confirme les recherches neuroscientifiques de Moshe Bar et Maital Neta.

Malgré ces différents éléments de réponse, il n’y a pas de doute que les débats autour de la plusbelle voiture de l’histoire vont continuer à perdurer tant ils figurent nos expériences, émotions et souvenirs. Et c’est surement mieux ainsi.

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