Le mouvement googie et l’automobile

Mai 8, 2023 | Actualités, HISTOIRE, Pop-Culture

Qu’est-ce que le mouvement googie ? ?

 par Jules Crouzet contributeur Les Amis de la FFVE

La fin de la seconde guerre mondiale sonne l’avènement de la “superpuissance” états-unienne [6]. Le bond technologique causé par le conflit va faire naître, aux États-Unis, une fascination nouvelle pour l’avenir et le progrès.
En Californie, le courant Googie va parfaitement illustré ce nouvel élan, consacrant l’âge d’or du design futuriste [17].
Mélangeant la naissante course à l’espace et l’ère du jet, le style Googie utilise des formes curvilignes audacieuses, des couleurs vives grâce aux néons et l’utilisation de matériaux modernes comme le verre, l’acier et le béton. Le nom du mouvement vient du critique Douglas Haskell [2] et du “Googie’s Coffee Shop” dessiné par John Lautner, un étudiant de Frank Lloyd Wright [23], en 1949 à Los Angeles [18]. L’apparition de ce courant en Californie relève d’une particularité légale. Contrairement aux États de l’Est et du Midwest, les bords de routes n’étaient pas régis par des aires de repos structurées et contrôlées [10]. Dans un champ concurrentiel dense et totalement ouvert, les commerçants qui investirent les routes californiennes durent redoubler d’efforts et d’ingéniosité pour attirer l’attention des automobilistes. De ce fait, la plupart des bâtiments Googie tournent autour de l’écosystème automobile : café, garage, station service, etc. En conséquence, le Googie, contrairement à la plupart des courants architecturaux, est toujours resté tourné vers « l’américain moyen de la classe moyenne » (1), sans toucher les classes supérieures.

Au début des années 70, alors que l’homme vient de marcher sur la lune et que la contestation écologique grandit [15], le courant Googie s’efface peu à peu pour faire place à une architecture plus traditionnelle et fonctionnelle.
Le meilleur exemple de cette transition est le changement de design des enseignes McDonalds. Il n’en demeure pas moins que le mouvement a profondément marqué l’architecture californienne d’après-guerre.

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1. Alan Hess in Novak, Matt, « Googie : Architecture of the Space Age », Smithsonian Magazine (juin 2012)

 

 

Exemples automobiles marquants du mouvement googie

Tucker 48 – 1947

À la fin de la seconde guerre mondiale, Preston Tucker a déjà une petite expérience dans le milieu automobile. Il a préparé des Ford V8 avec Harry Miller dans les années 30 et conçu un véhicule de combat pour l’armée étatsunienne [38]. De son côté, l’industrie automobile demeure enlisée dans des concepts dépassés d’avant-guerre. Elle se contente de tirer profit de l’envol de la demande sans se saisir du bond technologique entraîné par la guerre ni des sujets sociétaux majeurs comme la sécurité et la pollution (2). Dès lors, Preston Tucker décide de mettre au point une voiture sûre, rapide et élégante. Avec l’aide du designer Alex Tremulis, ils mettent au point une voiture inédite [33]. Inspirée des bolides des 500 miles d’Indianapolis [32], la Tucker 48 arbore une carrosserie profilée avec des ailes galbées qui se fondent dans les portes. La ligne de toit est basse et fuyante alors que l’arrière plongeant se termine sur une fine grille en aluminium qui surplombe six pots d’échappement. D’un point de vue technologique, elle embarque un troisième phare central pivotant qui suit la route dans les virages, des freins à disque, des ceintures de sécurité, un pare-brise escamotable afin de protéger les passagers en cas d’accident et un tableau de bord rembourré pour amortir les chocs. Après avoir longtemps tenté de développer son propre moteur, Preston Tucker se rabat sur un moteur boxer 6 cylindres d’hélicoptère.  La situation financière de l’entreprise demeure néanmoins très fragile, d’autant que Preston Tucker se refuse à contracter des prêts bancaires, préférant multiplier les préventes auprès des concessionnaires [32]. Cette stratégie lui vaudra un procès de la SEC 3 qui considère cette technique de financement illégale. Même s’il sera jugé non coupable en 1950, l’entreprise n’y résistera pas et sera déclarée en faillite en janvier 1949 [33].

2. Ralph Nader décrira avec une grande précision dans son livre Unsafe at Any Speed : The Designed-In Dangers of the American
Automobile en 1965, le manque de volonté criant des constructeurs états-uniens d’améliorer la sécurité de leurs modèles.
3. Securities and Exchange Commission, l’équivalent en France de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Malgré de nombreuses légendes alimentées par le film de Francis Ford Coppola, Tucker : The Man and His Dream [26], ce n’est pas un complot porté par le “Big Three” et un sénateur américain qui entraîna la chute de Tucker mais bien son instabilité financière
[32]. Il n’en demeure pas moins que l’aventure de Preston Tucker restera à jamais une étape marquante de l’histoire automobile. Il reste aujourd’hui 47 Tucker 48 en circulation [31]. En 2019, un exemplaire a été vendu 1,95 million de dollars par la maison de vente Bonhams [25]. Francis Ford Coppola lui-même en possède deux [40].

GM Le Sabre – 1951

À la fin de la seconde guerre mondiale, L’United States Air Force souhaitait se doter d’avions de chasse pouvant atteindre 965 km/h. La compagnie North American développa le premier avion à réaction et ailes en flèche, le F-86A Sabre qui effectua ses premiers vols en 1947 [58]. Quatre ans plus tard, General Motors présente au Salon de Paris la Le Sabre, directement inspirée de l’avion de combat. Descendante de la Buick Y-Job, elle est une nouvelle fois dessinée par Harley J. Earl et doit définir le style du groupe pour les années à venir. Avec sa ligne de caisse basse, ses longues ailes effilées, ses phares intégrés à la calandre, son pare-brise bulle, sa longue ligne chromée qui court de la calandre au bas des roues arrière (4), son long porte-à-faux arrière et ses petits feux arrière en forme d’obus, c’est un réel OVNI. L’assise de la ligne est renforcée par le fait que la capote soit complétement cachée. D’un point de vue technologique elle embarque des détecteurs de pluie qui déclenchent la fermeture de la capote, même moteur éteint, des vérins afin de soulever la voiture et faciliter le changement d’une roue et des sièges chauffants [48]. Son moteur, lui, est un V8 3,5L de 335 chevaux qui servit de bases à de nombreux constructeurs anglais comme Land Rover, Morgan, MG, et Triumph [45]. La Le Sabre avait la particularité d’avoir deux réservoirs, logés dans les ailes arrière.
Un essence, utilisé à bas-régime et un second au méthanol qui agissait comme antidétonant, technique empruntée à l’aéronautique.
Après avoir assuré son travail de promotion, la Le Sabre est devenue, comme la Y-Job dix ans auparavant, la voiture personnelle de Harvey J. Earl. Elle est aujourd’hui conservée au General Motors Heritage Museum [42].
Au-delà d’avoir donné son nom à un modèle de série de la marque Buick, elle a largement inspiré le style du groupe,notamment des Cadillac Series 62 de 1957.

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4. Harvey J. Earl reprendra ce mimique de design sur les Corvette C1 millésime 1956 et 1958.

Ford Mystere – 1955

Si General Motors s’est inspiré des avions nationaux pour concevoir la Le Sabre, Ford a pris la France comme point de départ. La Ford Mystere présentée en 1955, doit son nom à l’avion de chasse Dassault Mystère [56]. Bill Boyer, travaillant au Ford’s Advanced Styling Studio est chargé du développement du concept-car. Avec son design avant-gardiste, sa carrosserie profilée et son pare-brise enveloppant et sans montant, elle a pour mission de présenter le futur de la marque de Détroit. Cela entraîna le décalage de sa présentation de plusieurs mois, afin de ne pas délivrer tous ses secrets à ses concurrents trop tôt. Son large pare-choc chromé s’étend sur toute la face avant alors que sur le côté une ligne en forme de V part du haut des phares, forme une pointe au milieu de la portière avant de finir sur le haut des longues ailes effilées. Cette forme est reprise à l’arrière par deux antennes qui permettaient de capter la radio, mais surtout la télévision. Les sièges en cuir rouge vif pivotaient afin de faciliter l’entrée et la sortie du véhicule. Le volant en forme de demi-lune, pouvait pivoter pour se trouver en face du siège avant droit ou du siège avant gauche. L’habitacle était rafraîchi par une prise d’air située sur le toit.
Bien que la Mystere n’ait jamais été commercialisée, elle a largement inspiré les modèles de la marque et notamment la Thunderbird et la Fairlane. Plus récemment, un modèle très proche est apparu dans le film d’animation Toy Story 2 de Pixar, sorti en 1999.

Bibliographie

Googie
[1] Alpert Reyes, Emily, « L.A. to consider preservation of Googie-style Norms on La Cienega », Los Angeles
Times (jan. 2015)
[2] Benson, Robert Alan, « Douglas Putnam Haskell (1899-1979) : The Early Critical Writings », thèse de doct.,
University of Michigan, 1987
[3] Cross, John, John Launter : An Annotated & Illustrated Bio-Bibliography, 2010
[4] Douglas, Martin, « Martin Stern Jr., 84, Architect, Dies ; Redefined Vegas Skyline », The New York Times
(août 2001)
[5] Farren, Jonathan, « Quand l’Amérique renoue avec le faste des fifties », Le Figaro (déc. 2007)
[6] Fox, William Thornton Rickert, The Super-Powers : The United States, Britain, and the Soviet Union –
Their Responsibility for Peace, Harcourt Brace, 1944
[7] Hess, Alan, Googie : Fifties Coffee Shop Architecture, Chronicle Books, 1986
[8] Hess, Alan, Googie Redux : Ultramodern Roadside Architecture, Chronicle Books, 2004
[9] Hess, Alan et Weintraub, Alan, The Architecture of John Lautner, Rizzoli, 2000
Le mouvement googie et l’automobile Architecture/Automobile
[10] Langdon, Philip, Orange Roofs- Golden Arches : The Architecture of American Chain Restaurants, Alfred
A. Knopf, 1986
[11] Marshall, Colin, « The Story of Googie Architecture, the Iconic Architectural Style of Los Angeles », Open
Culture (avr. 2022)
[12] McDonough, Anne, « The ’50s and ’60s Thrive In Retro Doo-Wop Motels », Washington Post (juin 2007)
[13] Morris, Alan et Chabot, Debbie, Googie Architecture : A Comprehensive Overview, CreateSpace, 2015
[14] Murphy, Michael, Googie modern, Smith Gibbs, 2022
[15] Nader, Ralph, « The power to pollute », Unsafe at Any Speed : The Designed-In Dangers of the American
Automobile, Grossman Publishers, 1965
[16] Nelson, Valerie J., « Eldon Davis dies at 94 ; architect designed ’Googie’ coffee shops », Los Angeles Times
(avr. 2011)
[17] Novak, Matt, « Googie : Architecture of the Space Age », Smithsonian Magazine (juin 2012)
[18] Peregoy, Beau, « 5 of the Best Googie Buildings in L.A. », Architectural Digest (déc. 2016)
[19] Saillant, Catherine et Zahniser, David, « Johnie’s Coffee Shop named an L.A. landmark by City Council »,
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[20] Shaw, Matt, « Googie 101 : A Space-Age Pop-Architecture Primer – Architizer Journal », Architizer (jan.
2015)
[21] Taylor-Rosner, Noémie, « À Hollywood, des salles de cinéma mythiques en péril », La Croix (mai 2021)
[22] Ulaby, Neda, « Out Of This World : Designs Of The Space Age », The End Of The Space Shuttle Era, NPR,
2011
[23] Whiffen, Marcus, American Architecture since 1780 : A Guide to the Styles, MIT Press, 1992

Tucker 48
[24] Arvid Linde, Preston Tucker & Others : Tales of Brilliant Automotive Innovations, Veloce Publishing Ltd,
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[25] Bonhams, « 1948 Tucker 48 – Lot 491 » (2019)
[26] Coppola, Francis Ford, Tucker : The Man and His Dream, Biopic, 1988
[27] Dean, Paul, « ’48 Tucker Collectors Keep the Dream Alive », Los Angeles Times (juill. 1988)
[28] Egan, Philip S., Design and Destiny : The Making of the Tucker Automobile, On the Mark Pubns, 1989
[29] Farjat, Marcelo José García et Salguero, Sergio Walter, « Cambio tecnológico y disputas sociotécnicas en
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[30] Kinney, Dave, « Only 52 Tuckers Were Built, but Their Impact Is Still Felt », The New York Times (oct.
2006)
[31] Kinney, Dave, « Where Have All the Tuckers Gone ? », The New York Times (oct. 2006)
Les amis de la FFVE 9
Le mouvement googie et l’automobile Architecture/Automobile
[32] Langelett, George, « What Caused the Tucker Automobile Corporation to Fail ? », Economics Faculty
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[33] Lehto, Steve et Leno, Jay, Preston Tucker and His Battle to Build the Car of Tomorrow, Chicago Review
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[34] Louie, Elaine, « Tucker Owners, By a Car Possessed », The New York Times (août 1988)
[35] McSherry, Katelyn, « 1948 Tucker Model 48 », Audrain Auto Museum (mars 2020)
[36] Norman, Jim, « A Tucker That Time Forgot, in Convertible Form », The New York Times (juill. 2009)
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[38] Sánchez, Miguel, « La Epopeya De Preston Tucker Contra Detroit », La Escudería (mars 2018)
[39] Tucker, Abigail, « The Tucker Was the 1940s Car of the Future », Smithsonian Magazine (2012)
[40] Undercoffler, David, « Rare Tucker 48 formerly owned by George Lucas headed to auction », Los Angeles
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GM Le Sabre
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[42] Ernst, Kurt, « Cars of Futures Past – 1951 GM Le Sabre Concept | Hemmings », Hemmings (avr. 2014)
[43] Jean-Philippe Thery, « Conceptuel », autoactu.com (sept. 2022)
[44] Knoedelseder, William, Fins : Harley Earl, the Rise of General Motors, and the Glory Days of Detroit,
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[45] Malek, Carl, « The 1951 LeSabre Concept Car, And How It Helped Shape An Era Of GM Styling : History
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[46] McSherry, Katelyn, « 1951 Le Sabre Concept — Audrain Auto Museum », Audrain Auto Museum (avr.
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[47] Peter, Kelly, « Jet-age origins », NZV8 62 (juill. 2021)
[48] Sabatini, Jeff, « 1951 GM Le Sabre », AutoWeek 51 (nov. 2001)
[49] Sean Szymkowski, « The Soviet Union Once Tried To Copy The Buick LeSabre Concept », GM Authority
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[50] Vance, Bill, « Harley Earl’s Buick ’Dream Car’ », Waterloo Region Record‘ (mars 2017)
[51] Vance, Bill, « The ’50s belonged to the General », Waterloo Region Record‘ (nov. 2017)
Ford Mystere
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[53] Colman, Benjamin et al., Detroit Style : Car Design in the Motor City, 1950-2020, Yale University Press,
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[54] Flammang, James M., Chronicle of the American Automobile : Over 100 Years of Auto History, Publications
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[55] Janicki, Edward, Cars Detroit Never Built : Fifty Years of American Experimental Cars, Sterling Publishing
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[56] Norman, Kenny, « Here’s What’s Significant About The 1955 Ford Mystere Concept Car », HotCars (mars
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[57] Temple, David W., Full-size Fords : 1955-1970, CarTech Inc, 2010
Autres
[58] Lorell, Mark, « The subsonic – and early supersonic – jet revolutions », The U.S. Combat Aircraft Industry,
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